Extrait de mes carnets de voyage en Israël-Palestine : « Vendredi 24 Juillet 2009, dans la soirée : Quant il y a une frontière, j’aime bien la franchir. Avant tout par amour de la liberté et par curiosité pour ce qui peut bien s’y cacher derrière. La frontière égyptienne est toute proche. Pourquoi ne pas aller passer une partie de la soirée à Taba en Egypte ? Après m’être fait confirmé par un soldat israélien que le poste frontière était bien ouvert sept jours sur sept vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je commence le processus de sortie du territoire israélien. « Où voulez-vous aller en Egypte ? » me demande-t-on. « A Taba », je réponds. Comme la douanière tenait absolument à savoir où précisément je voulais me rendre à Taba, j’ai prétexté vouloir me rendre au casino, comme bon nombre d’Israéliens dépourvus de tels lieux sur leur territoire qui affluent de ce fait à Taba. La frontière se passe à pied. Des duty-free se situent de chaque côté de la frontière. Côté égyptien, la file d’attente paraît éternelle en raison de la présence d’un groupe de Polonais. Un seul fonctionnaire des douanes tamponne les passeports et est parfois absent de son poste. Je commence presque à regretter cette petite escapade égyptienne et me dis que je n’irai pas le lendemain au poste frontière Ytzhak Rabin faire un tour en Jordanie. Une frontière entre Israël et un de ses voisins, même officiellement en paix, ne se passe pas comme on traverse les Champs-Elysées. Le voyageur qui attend patiemment que son passeport arbore un nouveau tampon n’est plus le maître du jeu. Le maître du temps, c’est la douane du pays d’accueil. Il m’a fallu remplir une fiche sur mon identité et le but de mon « voyage ». Les douaniers égyptiens ne dégagent pas une chaleur humaine inoubliable. Ma nationalité et mes quelques mots en arabe facilitent tout de même l’échange. Après une longue attente, je me retrouve en Egypte avec une autorisation limitée à la côte d’Aqaba et au Mont Sainte-Catherine pour quinze jours seulement. La condition pour être dispensé de visa et donc de frais. De l’autre côté de la frontière, un hôtel Hilton, victime d’un grave attentat terroriste il y a quelques années, et le fameux casino témoignent d’une véritable continuité territoriale avec Eilat au niveau de l’esprit et de la richesse matérielle des lieux. Des chauffeurs de taxi particulièrement miséreux qui m’abordent rappellent seulement qu’Eilat est de l’autre côté de la frontière, et que ni l’hôtel Hilton ni le casino ne peuvent faire oublier que nous sommes en Egypte, un pays d’une très grande pauvreté. Afin d’être cohérent avec mes propos aux douanes israéliennes et égyptiennes, et également par curiosité, je pénètre dans le fameux casino de Taba, après deux passages sous des détecteurs de métaux. La présence des forces policières et de l’armée apparaît tout aussi présente de ce côté de la frontière. Au vestiaire obligatoire du casino, deux splendides femmes égyptiennes aux cheveux recouverts d’un voile permettant tout de même d’admirer l’essentiel de leur visage m’envoient un sourire inoubliable. Leur type physique est extrêmement troublant et propre à cette région du monde : une couleur de peau et des traits de type soudanais, franchement ravissants…
Une fois dans le casino, je me promène au milieu des machines à sous et des tables de jeux. Mon jeu préféré, la roulette anglaise, auquel j’ai eu pour le moment la chance d’être toujours gagnant, fait partie sans surprise des jeux de table présents au casino de Taba. Les croupiers égyptiens, arborant de splendides nœuds papillons, n’ont pas le même côté décalé qu’à Monaco mais exercent très professionnellement leurs missions. Ici, la langue des paris est l’anglais et la monnaie le dollar américain. C’est ce que j’ai appris en voulant retirer quelques livres égyptiennes avec ma carte bleue. Pour le retrait de dollars, un montant de 100 dollars minimum est exigé, auquel se rajoute une commission. Une fois avoir fait le tour du lieu, je m’en vais sans avoir joué. J’aurai vu ce qui pousse tant d’Israéliens à se rendre en Egypte à Taba. A l’extérieur du casino, la nuit est déjà tombée. La route vers le Sinaï m’est très tentante. Dépourvu de temps et de livres égyptiennes, me sentant observé et surveillé par les autorités locales comme par les chauffeurs de taxi, je me dis que l’Egypte sera une autre aventure qui mérite à elle seule de longues journées de découverte. Je refais donc le chemin inverse et me soumets de nouveau aux formalités douanières égyptiennes puis israéliennes. Les agents des douanes sont tous des hommes au regard sinistre, qui semblent porter en eux un niveau de frustration très élevé. La chaise branlante du douanier égyptien qui contrôle les passeports, son ordinateur poussiéreux, l’atmosphère du lieu sont dignes d’un pays en développement… ce qu’est l’Egypte. Le contraste est vraiment saisissant avec l’Hilton et le casino voisins, sans parler d’Eilat… Je pense également en franchissant la frontière à Taba comme étape majeure d’un processus de paix enlisé (négociations de Taba en 2001). Arrivé côté israélien, tout est beaucoup plus rassurant, aseptisé, les douaniers sont quasiment toutes de jolies jeunes femmes souriantes… L’atmosphère du poste-frontière israélien est à mille lieux de celui de la République Arabe d’Egypte… Géographiquement, à quelques pas. Ce soir-là, j’aurais voulu jouer à qui veut gagner des tampons sur son passeport, j’en aurais gagné quatre en un temps record ! »
Pierre-Yves BUREAU
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